Pour continuer sur ma lancée, je vais vous présenter Arouna Nacanabo que je qualifierais indubitablement d’un Champion du développement. Pourquoi un champion? Cet homme de 59 ans a réussi à apporté durant toute sa vie des solutions concrètes à sa précarité et, aujourd’hui à l’aube de la soixantaine, il peut aspirer à une retraite tranquille. Mais qu’est-ce qui fait d’Arouna un champion?
Avoir fréquenté l’école
Arouna a eu la chance de fréquenter une école dans sa jeunesse. J’ai l’impression qu’il s’agît de l’évènement déclencheur à la formation de son comportement pro-développement. Même s’il n’a pas franchi le cap de l’éducation primaire, il parle et écrit français. Mais surtout, Arouna a conservé un esprit très perméable à l’apprentissage. Cette perméabilité a influencé sur le cours de toute sa vie : ses habitudes de vie, l’établissement de sa famille, ses habitudes de production agricole et son statut social.
- Habitudes de vie : Arouna croit en la médecine moderne et se dirige directement au dispensaire lors d’un problème de santé. Il ne consomme pas de viande outre-mesure et a demandé à sa femme d’utiliser un minimum de sel dans la confection des repas car il m’a confié avoir entendu dire que c’était préjudiciable à sa santé.
Mais le plus ahurissant est lorsqu’il m’a demandé si le sucre était lui aussi préjudiciable. « Effectivement Arouna, si tu prends trop de sucre, ton corps se fatigue à toujours avoir à le stocker et lorsque tu es vieux, il a de la difficulté à le l’utiliser : c’est le diabète. », lui ai-je répondu.
Je suis habitué à faire de telles interventions lorsque je vois des gens au comptoir d’un café mettre 4-5 cubes de sucre dans un demi-verre de café. Je vois malheureusement l’indifférence des burkinabés face à la menace du diabète lors de leur vieillesse. C’est un risque lointain, intangible, donc on n’y pense pas et on ne s’en fait pas avec ça.
Cependant, lorsque la femme d’Arouna est venue chercher le bol de tô que nous avions partagé, je fus sidéré par sa réaction. Il commença à discuter des méfaits du sucre avec sa femme et lui conseilla de diminuer sa consommation en sucre. J’ai aussi été témoin dans les journées qui suivirent que la quantité de sucre qu’il versait dans son thé diminua de moitié!
- Une famille de qualité : J’entends par là que, traditionnellement, les musulmans aspirent à avoir une famille nombreuse, une famille de « quantité » avec plusieurs femmes et un nombre proportionnellement exponentiel d’enfants. Il s’agît d’un reléguât religieux ainsi que d’une vision traditionnelle où le coût/bénéfice d’avoir plusieurs enfants se rationalise avec une plus grande possibilité d’avoir une famille pour vous prendre en charge lors de vos vieux jours. Dans le Burkina Faso d’aujourd’hui, Les problèmes encourus sont cependant nombreux:
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- il n’y a pas de planification entre les ressources disponibles par l’homme et les besoins d’une telle famille. Ainsi, ces hommes pères de 3 femmes et de 25 enfants sont souvent incapables de s’occuper adéquatement de leurs progénitures. Maladie, malnutrition, analphabétisme sont des symptômes important de cette coutume.
- Une conséquence secondaire, mais qui est selon moi éminemment importante, c’est que cette coutume de quantité résulte en une augmentation de la pression sur les terres. Imaginez que sur vos 25 enfants, peut-être 2 ou 3 seront éduqués jusqu’au niveau primaire, les autres seront probablement analphabètes. Certains s’exileront en ville mais plusieurs resteront au village et débuteront la seule activité possible : l’agriculture. Imaginez maintenant qu’un agriculteur engendre 10 nouveaux agriculteurs qui, lorsqu’ils possèdent eux aussi plusieurs bouches à nourrir, ont besoins de cultiver plus de terres.
Cependant, la ressource terrière n’est pas infinie. Imaginez donc que 14 millions de personnes au Burkina dépendent directement de la terre pour vivre. Conséquence : déforestation, désertification, perte de fertilité de la terre, diminution des récoltes, augmentation de l’insécurité alimentaire, augmentation de la pauvreté.
Cependant, puisqu’Arouna a pu goûter à l’incroyable potentiel de l’éducation, et malgré des ressources plus que suffisantes pour avoir plusieurs femmes, ce dernier s’est limité à 1 femme et 6 enfants. Il a ainsi pu envoyer TOUS ses enfants à l’école. Aujourd’hui 2 de ses fils ont des emplois bien rémunérés et peuvent l’aider financièrement.
L’éducation s’est avéré pour Arouna non pas une dépense mais réellement un investissement au plus pur sens du terme. Sa signifie quoi? J’ai pu cartographier l’exploitation complète d’Arouna et sans l’aide financière de ses enfants, il a un salaire inférieur au seuil de la pauvreté soit : 1,85 $CAN par jour. Cependant, grâce à l’aide financière de ces enfants, son revenu quotidien a été catapulté hors du seuil de la pauvreté soit à 2,67$CAN par jour.
C’est ainsi qu’Arouna fait parti de la solution au problème de pression de la terre. Au lieu d’ajouter 10 individus obligés de cultiver la terre, il pense lui-même se retirer d’ici peu et il sera donc un producteur de moins à faire pression sur les terres.
- Production agricole : Arouna est le premier producteur organique de son périmètre maraîcher. Oui, vous avez bien compris, il n’utilise pas d’engrais minéral pour ses différentes cultures. Et il le fait par conviction : il ne reçoit pas un centime de plus pour sa production organique que son voisin qui utilise des doses massives d’engrais.
Encore une fois, c’est sa perméabilité à l’innovation qui lui permet d’avoir opté pour cette approche. Lors d’une formation, un agriculteur français a présenté à leur groupe maraîcher les avantages de la culture biologique. Respect de la nature, oui, mais les produits cultivés biologiquement se conserve plus longtemps et sont souvent de meilleure qualité. Pour Arouna, le respect de la nature et de la terre est primordial car il a pu comprendre à sa manière le concept de développement durable. Et il planifie maintenant de tirer profit de la meilleure conservation de sa culture en investissant dans une cave de conservation pour vendre ses produits plus tard en saison, lorsque les prix sont meilleurs.
- Statut social : Arouna est perçu comme un leader dans sa communauté, il a un esprit sage et posé et plusieurs personnes de son entourage se tourne vers lui pour avoir des conseils autant au point de vue social que sur leurs techniques de production.
Où est l’œuf?
Où est l’origine de cette attitude pro-développement? L’éducation ou c’est encore plus profond que cela? Est-ce que le père d’Arouna était lui-même un innovateur? Qui sait, mais je crois fermement que si plus de chefs de famille burkinabé avaient l’ouverture d’esprit et la sagesse d’Arouna, le Burkina Faso aurait énormément évolué pendant les 25 dernières années… et je serais peut-être ici pour d’autres raisons que pour travailler à améliorer la vie d’une tranche les plus pauvres de la planète.
Lors de mon séjour de formation à Toronto, j’avais pu voir la théorie sur l’équilibre complexe existant entre les aptitudes d’un être humain et les opportunités qui se présente à ce dernier.
Avec Arouna, je peux maintenant voir à quel point les deux paramètres sont intimement liés. Même si on injecte des sommes faramineuses dans l’aide internationale pour donner aux fermiers des pays en développement des intrants à bas prix, des organisations de commercialisation ou des infrastructures novatrices, rien n’avancera si on ne développe pas le potentiel même de l’humain…
Excellent article.
Félicitations à Arouna, et je lui souhaite bonne chance dans la poursuite de ses convictions et l’encourage à continuer à partager ses expériences dans sa communauté.
Merci Étienne et bonne continuité