À la demande générale, je désire vous expliquer à quoi consiste mon travail ici, à Ouahigouya au Burkina Faso. Je travaille à améliorer les compétences organisationnelles et les services de mon organisme d’accueil, en l’occurrence l’Unité d’Appui Agro-Économique (UAAE) de la Fédération Nationale des Groupements Naams (FNGN).
L’UAAE promeut le Conseil à l’Exploitation Familiale (CEF). Le CEF consiste en une équipe de conseillers qui suit de petits producteurs, souvent analphabètes, afin de les aider à rationaliser leur exploitation de façon économique. C’est ainsi que les adhérents au CEF apprennent à enregistrer leurs dépenses, leurs gains et à connaître la valeur de leurs activités génératrices de revenu. Le CEF est ainsi capable d’initier un changement de comportement chez l’agriculteur. Ce dernier passe d’un fermier vulnérable aux aléas du climat et de la mauvaise foi des commerçants à celui d’un chef d’entreprise capable de prévoir, planifier et discuter des aspects techniques et économiques de ses cultures car il est maintenant en mesure de connaître ses résultats technico-économiques (rendement, charge de production, marge brute etc.)
Non, je ne travaille pas sur un projet!
Mais avant d’aller plus loin dans l’explication de mes tâches, il faut premièrement que je corrige cette petite erreur sémantique. Je me suis souvent fait poser cette question : « C’est quoi ton projet? ». Un projet est ce à quoi tout le monde se réfère lorsque l’on parle de développement international. Il est donc normal que la plupart de mes interlocuteurs pense que, moi aussi, je participe à un projet. Or, ce n’est pas le cas. Je travaille sur un programme d’une Fédération Paysanne du nord du Burkina Faso.
Projet? Programme? Où est la différence?
Un projet a communément une planification au quart de tour, avec des dates buttoirs, des activités, des résultats qui sont déjà connues avant même de commencer. Vous voyez peut-être poindre le problème. Il arrive souvent que la planification est faites par des gens négligeant énormément les réalités locales ce qui a pour effet que lorsque l’ONG se retire du projet, ce dernier est mal adapté voire complètement désuet à combler les besoins des populations touchées!
Un programme est normalement beaucoup plus souple, les objectifs sont fixés à long terme et la planification est faite de façon succincte, en mettant l’emphase sur le déroulement sur le terrain pour fixer les différentes activités. Cela permet une plus grande adaptabilité et un meilleur service auprès des bénéficiaires.
Cela a cependant l’effet pervers que ce laxisme affecte énormément la réussite d’un programme. Il faut que le personnel gérant le programme ait les compétences organisationnelles afin d’être efficace dans l’exécution des objectifs du programme. Malheureusement, la plupart des gestionnaires sont choisis pour leurs compétences techniques et rarement pour leurs compétences organisationnelles. Ainsi, malgré l’avantage que représente le programme face au projet, le personnel des organisations arrivent difficilement à atteindre les résultats escomptés.
Et c’est ici que j’entre en jeu.
Voici mon mandat : Que les bénéficiaires du programme soient en mesure d’avoir le service auxquels ils ont droit. Ils sont en quelque sorte mes patrons, la personne à la qui je rends compte. Je tenterai maintenant de vous expliquer où je cadre ici avec un exemple très concret, soit ce que j’ai entrepris au cours du dernier mois à l’UAAE.
Le problème
L’UAAE est formé de deux comités exécutifs (exécutif : débattent et décident des politiques), d’un bureau formé d’un responsable administratif (administratif : qui rend effective les décisions et les politiques des comités exécutifs), de moi-même et d’une équipe de 7 conseillers.
Une des grandes faiblesses de ce genre de structure démocratique est que les membres d’un des comités sont des adhérents élus par les adhérents et ne possèdent pour la plupart que peu de connaissances et de compétences quant aux dynamiques régissant la bonne marche du programme. Malgré plus de 8 ans d’existence, ce comité manque énormément de vision, de leadership et de dynamisme.
Les conseillers quant à eux ont été sélectionnés à travers les différents sites maraîchers éparpillés à la grandeur du Burkina Faso et prodiguent donc leurs conseils sur ces sites sans vraiment trop se préoccuper de leurs collègues. Encore une fois, il n’existe pas de dynamique d’équipe entre les différents conseillers, alors que ces derniers sont les mieux placés pour influencer l’innovation et l’adaptation des pratiques du CEF et ce pour tous les adhérents.
Finalement, le responsable administratif a hérité par défaut de plusieurs rôles et tâches qui ne sont pas de son ressort ce qui a pour effet qu’il est surchargé et qu’il n’est pas capable de mener à bien les tâches administratives les plus importantes. Ainsi, le laxisme et le manque de dynamisme a résulté en un mauvais partage des tâches entre les conseillers, les membres du comité et ce dernier.
Les conséquences
Tous ces problèmes ont comme conséquences qu’il existe peu de services et d’outils adaptés aux besoins des adhérents. Or, il est intéressant pour un adhérent de connaître le portrait de son exploitation seulement si cela lui permet de l’améliorer. Et c’est ce qui est loin d’être le cas.
Le CEF de la FNGN souffre donc d’un faible membership au regard des effectifs de la Fédération. Ainsi, seulement 378 adhérents participent à l’approche CEF sur un bassin de plus de 80 000 membres! Il s’agît de moins de 0,5%. Il n’est pas concevable de penser que 80 000 personnes sont en mesure de profiter de ce service. Cependant, même un objectif modeste de 5% devrait être envisageable. Pire encore, depuis les 3 dernières années, le nombre d’adhérents va en régressant.
Et pour ajouter aux symptômes, alors qu’une modeste contribution de 3000 FCFA (1,6% du revenu moyen enregistré par adhérent grâce à la démarche CEF) est demandée à chaque adhérent, seulement la moitié s’en sont acquittés cette année.
Les solutions
Je m’attèle donc pour les prochains mois à interroger tous les acteurs afin de connaître le portrait organisationnel présent de la cellule ainsi que celui qu’ils souhaitent. En connaissant le point où ils en sont et le point où ils devraient normalement se trouver, je pourrai designer différentes interventions afin de rephaser l’organisation sur un modèle performant qui leur permettra d’offrir un meilleur service aux adhérents. Avec une organisation saine leur permettant de prendre en charge de nouveaux partenariats et services, je pourrai débuter pour l’UAAE une seconde phase d’intervention afin d’augmenter l’offre de service pour les adhérents.
J’espère ainsi augmenter le taux de recouvrement et le nombre d’adhérents afin d’augmenter les revenus de l’UAAE qui se trouve dans une position précaire depuis la diminution de l’appui financier de son principal bailleur de fonds.
« Etienne, t’es pas supposé être dégoûté par les sciences administratives et tout ce qui touche la gestion d’entreprise?!?!? »
Je répondrai à cette question par le fait que c’est la raison pour laquelle j’ai étudié en biologie et que j’ai passé de magnifiques heures dans les eaux de la côte chilienne! Je me suis cependant rendu compte à quel point les systèmes humains peuvent être intéressants à analyser, à diagnostiquer. Vous seriez surpris à quel point la vision systémique que l’on applique à la biologie peut aussi s’appliquer à une organisation.
De plus, je trouve hautement motivant la latitude et la créativité que m’offre mon poste ici. Je suis sûr que comme moi, vous vous êtes retrouvés dans des situations où vous vous êtes dits : « C’est dont bien mal conçu! Moi, je ferais telle ou telle chose pour que ça aille mieux! ». Et trop souvent le tout est resté au rang de simple idée reléguée aux oubliettes de votre mémoire. Ce travail m’offre enfin la chance de prendre ces idées et de les mettre en action.
Alors, effectivement, j’ai fait la paix avec cette aversion historique que j’avais pour les sciences administratives en sachant que mes efforts ici amélioreront la vie de bon nombre de petits producteurs agricoles du Burkina Faso qui n’arrivent souvent pas à tirer le meilleur de leur situation, faute de connaissance. C’est surtout très motivant de côtoyer son patron sur le terrain et de voir qu’il est extrêmement satisfait des services que lui apporte le CEF.
[…] Etienne Renaud-Roy, Volontaire Long Terme, ISF […]
Wow Etienne, je suis totalement sidere par la qualite de ton style de vie. Je suis fier de partager les meme genomes que toi grosse tete! Laura, ma copine, est devenue une de tes plus grandes admiratrice.
Keep on bra!
salut Etienne juste un coucou de bangui c’est Dany yadila j’etais stagiaire à AFDI ouaga
passe moi ton mail ,et celui de Hermane
Salut Etienne,
(j’espère que tu fais toujours un tour sur ce blog :p)
Merci pour tout ces articles, j’ai pris grand plaisir à les lire et j’ai appris pas mal de choses sur le Burkina alors que ça fait déjà plusieurs semaines que je suis moi même à Ouaga.
J’apprécie tes analyses et aurait bien aimé avoir plus d’infos sur ta mission au Burkina et surtout comment cela s’est terminé et comment ut vois cette expérience avec le recul.
J’effectue du bénévolat dans ce beau pays cette année, et je suis également en contact avec les populations rurales, voila pourquoi ton expérience peut m’être très utile :p
Dis moi si je peux te joindre par email ou d’une autre manière.
Merci !
Eli
Bonjour Eli,
ça fait un bail que je n’ai pas revisité ce blog. Je ne me rappelais même plus ce que j’avais écrit sur le sujet! À propos de la fin de mon séjour (et non de ma mission), je suis revenu au Québec en août 2010 pour poursuivre mes études. J’ai quitté la fédération qui était toujours assez dynamique et venait d’obtenir un projet important de l’Union Européenne. Les différents gestionnaires avec qui je travaillais en développement professionnel ont continué à progresser
Je suis retourné au Burkina Faso en mai dernier pour revoir des amis. Après 4 ans loin de là j’ai été assez surpris de la « stabilité » des choses. Un nouveau goudron par-ci, une nouvelle infrastructure par là, des amis qui avaient pris quelques rides ou avaient des enfants mais au final tout était passablement identique à mon départ.
Avec ce recul je peux dire que cette expérience est pas mal comme aller chez des amis. Quand tu y es il y a certaines habitudes qui changent, certaines idées qui sont partagées. Puis tu reviens avec ces bons souvenirs à la maison et eux de leur côté reprennent leur vieilles habitudes à quelques choses près: 1 ou 2 trucs les auront marqués mais grossièrement ce sera la même route qu’ils emprunteront.
si tu as d’autres questions plus spécifiques n’hésite pas.
Salut Etienne,
Merci pour le retour. J’aime beaucoup l’image que tu as utilisée, c’est on ne peut plus clair.
C’est vrai que defois on aimerait des changements rapides, mais la vie à son propre rythme. Je suis sur cependant que ton premier séjour Burkina Faso a été très utile, mais peut être tout simplement que les fruits des graines que tu as semés n’ont pas encore fait leur apparition et qu’ils faut d’autres évènements, voir personnes pour cela.
Y a une citation que j’aime bien et qui est la suivante :
« Quand tout me semble inutile, je vais observer un tailleur de pierre à l’œuvre.
Il peut marteler une pierre une centaine de fois sans qu’elle montre la moindre fissure. Pourtant, au cent unième coup, elle se fend soudain en deux et je comprends que ce n’est pas ce dernier coup qui a produit cet effet, mais bien tous ceux qui l’ont précédé ». Jacob Riis
J’ai bien aimé tes analyses sur ce blog et je suis sur que ta simple présence au Burkina aura permis de « marteler » la pierre dans la bonne direction. Peut être pas 101 fois, mais un certains nombre de fois malgré tout.
Je n’ai pas vraiment de questions plus spécifiques, je tiens juste à te remercier pour le blog !
Plein de réussite dans tes projets actuels !